La tour de guet


Espace sonore et temps musical
Enjeux philosophiques et musicaux d’une association dialectique

10ème rencontres de la Tour de Guet

Vendredi 4, samedi 5 et dimanche 6 juillet 2025

60 impasse de la tour de guet

La Beaudelie - Le Saillant

19130 VOUTEZAC

 

À une quinzaine d’années d’écart paraissaient l’ouvrage de Gisèle Brelet intitulé Le temps musical[1] et le manifeste de Pierre Boulez Penser la musique aujourd’hui, sous-titré, le nouvel espace sonore[2]. Au-delà des débats esthétiques qui ont animé la période de l’après-guerre, la double dialectique de l’espace et du temps, et du son et de la musique fonde sans aucun doute les conceptions esthétiques dans lesquelles nous sommes encore plongés. Mais que nous dit vraiment cet assemblage de concepts ? Il convient d’en interroger à la fois les sources et l’empreinte sur notre présent esthétique.

À travers quelles combinaisons de caractère épistémologique en est-on venu là ? Les progrès de la rationalité scientifique, notamment dans les rapports avec le champ de la perception, ont-ils eu une incidence sur cet appariement de concepts ? Dans le cadre d’un dualisme sans doute problématique, à quel fonctionnement croisé entre une forme d’objectivité reconnue à la spatialité sonore, et une dimension de subjectivité traditionnellement attribuée au temps cela nous renvoie-t-il ?

Relativement à l’espace sonore, Gisèle Brelet met en avant ce qu’elle appelle une « métaphysique immanente de la musique ». Schaeffer a déclaré quant à lui à propos de Varèse qu’il ne s’intéressait qu’à « ce qui tombe dans l’oreille ». En intégrant l’exploration du matériau sonore sous l’angle de la création des composants du son, en tentant de promouvoir une esthétique de formes d’audition créatives, une réflexivité de l’écoute distincte de la perception, en se penchant sur ce que l’oreille entend que lui renvoie un matériau qui vient d’elle (Adorno), n’ouvre-t-on pas la voie à une remise en question de ces polarités dialectiques ? Quelles articulations conceptuelles sont ici en jeu et comment interviennent-elle au creuset des œuvres ? À quels préjugés, en partie venus de la philosophie, échapperions-nous par un regard instruit des nouvelles avancées sur la composition des sons ?

En réunissant philosophes et musiciens autour de ces questions à la fois conceptuelles et sonores-musicales, on aimerait identifier les possibles aveuglements qui retiennent le son d’« entrer en temporalité » ou la musique de « gagner en espace ». À un moment où la nécessité d’une nouvelle prise en compte des « données élémentaires de la conscience » émerge chez les compositeurs, une réflexion sur les catégories primitives d’un art des sons capable de faire musique prend tout son sens. On aurait alors peut-être quelques lumières sur les raisons du malaise touchant l’appréhension de la pratique de la composition et sur les difficultés que peut rencontrer la réception contemporaine de cet art.

 


[1] Brelet, Gisèle, Le temps musical, deux tomes, Presses Universitaires de France, Paris, 1949.

[2] Boulez, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, le nouvel espace sonore, Éditions Gonthier - Schött’s Söhne, Mayence, 1963.

 

 

PROGRAMME

 

vendredi 4 Juillet

 

 

Introduction du colloque




 

Frédéric de Buzon, philosophe, Professeur émérite, Université de Strasbourg

Les conceptions du temps dans les traités de musique à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles)




 

Jean-Marc Chouvel, professeur, Sorbonne Université - IReMus

Comment le temps multiplie l’espace – une réflexion sur la notion de convolution et son incidence compositionnelle




 

 

Cesar Birschner, pianiste, doctorant, IReMus

Cartas Celestes pour piano de Almeida Prado, un vocabulaire musical hors temps et un espace sonore cosmique




 

Dominique Pradelle, philosophe, professeur, SU

Temps phénoménologique et temps musical




 

Concert

 

Domenico Scarlatti (1685-1757), Sonates k.208, k.492 et k.450 (ca. 1750) 

Leonardo Vaccari, piano




 

Almeida Prado (1943-2010), Cartas Celestes 1 (1974)

César Birschner, piano






 

Jean-Marc Chouvel (1964-), Invertio (2025)

César Birschner, piano




 

Bach Kurtag (1988)

Chae-Um Kim, piano

César Birschner, piano




Berio (1988)

Chae-Um Kim, piano

César Birschner, piano




 

 

samedi 5 Juillet

 

 

Antoine Bonnet, compositeur, musicologue, Université de Rennes

Vers une Terza pratica ?




Leonardo Vaccari, pianiste, étudiant, Ca' Foscari, Venise

Perspectives phénoménologiques existentielles sur la musique : les contributions « heideggeriennes » de Günther Anders et Heinrich Besseler




 

Chae Um Kim, pianiste, doctorante, IReMus, CNSMDP

Notation du temps et de l’espace dans les œuvres pour piano et électronique de Philippe Manoury




 

Carlos Lobo, philosophe

Phénoménologie du temps musical et dialectique du hasard et de la volonté.




 

Concert

 

Antonia Soulez, Choix de poèmes

Antonia Soulez, récitante

Jean-Marc Chouvel, clarinette




 

Franz Schubert (1797-1828), Winterreise (« Der Lindenbaum », « Auf dem Flusse », « Irrlicht », « Rast », « Einsamkeit », « Letzte Hoffnung », « Das Wirtshaus ») (1827)

Dominique Pradelle, ténor

Chae-Um Kim, piano




 

Pierre Boulez (1925-2016), Une page d’Éphéméride (2004)

Chae-Um Kim, piano




 

Isaac Albéniz (1860-1909), Extraits de la suite Iberia  (« Evocacion » (Livre I), « El Albaicín » (Livre III), « Málaga » (Livre IV)
Leonardo Vaccari, piano





 

 

dimanche 6 Juillet

 

 

Bomi LEE, compositrice, SU

À propos de Rires et la musique acousmatique




 

Antonia Soulez, philosophe, poète, professeur émérite Université Paris8

Les enjeux du parti pris de la spatialité




 

Antoine Villedieu, compositeur, doctorant, IReMus

Synthèse sonore et composition algorithmique : la musique comme écriture du son




 

Carmen Pardo, Professeur, Université de Girona

De l’interrelation musiques-auditeurs-milieux




 

20h30 Concert

 

Maurice Ravel (1875-1937), Mélodies hébraïques (1915 et 1925)

« L’énigme éternelle » (Deux mélodies hébraïques, n° 2)

« Chanson hébraïque » (Chants populaires, n° 4)

« Kaddisch » ((Deux mélodies hébraïques, n° 1)

Dominique Pradelle, ténor

César Birschner, piano




Silvio Ferraz (1959-), Fantasia (« Intermezzo I »), (2023)

César Birschner, piano




Silvio Ferraz (1959-), Fantasia (« Intermezzo III - "Vento Aracati" »), (2023)

César Birschner, piano

 



Horacio Vaggione (1943-) : Gymel #5 (2025)
Composition acousmatique

Antoine Villedieu, diffusion électroacoustique




Bomi Lee (1987-),  Rires (2025)

Antoine Villedieu, diffusion électroacoustique




 Antoine Villedieu (1982-), Improvisation électroacoustique (2025)

Antoine Villedieu, improvisation et diffusion électroacoustique






Notes d’intention des intervenants :

 

 

Frédéric de Buzon, philosophe, Professeur émérite, Université de Strasbourg

L'émergence du temps dans les traités de musique, de la Renaissance au XVII siècle

 

Si la musique a fait partie, de l’Antiquité au moyen âge, de la mathesis, c’est uniquement dans sa dimension harmonique; les questions liées à la dimension essentiellement temporelle du fait musical sont le plus souvent passées sous silence, ou bien exclues des parties proprement théoriques pour être abordées dans les questions pratiques. Deux manières de penser la dimension temporelle apparaissent dans les traités, d’une part la métrique antique et d’autre part la danse. L’exposé s’efforcera de comprendre dans quelles conditions le temps a pu être intégré à la théorie musicale proprement dite, dans ses divers aspects. Je m’appuierai sur des textes de Zarlino, de Descartes et de Mersenne entre autres.

 

 

Jean-Marc Chouvel, professeur, Sorbonne Université - IReMus

Comment le temps multiplie l’espace – une réflexion sur la notion de convolution et son incidence compositionnelle

 

Le principe de l’imitation, qui traverse quasiment tous les styles musicaux, est très lié au phénomène de l’écho, qui est un moment où le sonore confirme sa vocation à décrire l’espace. On peut montrer que cette relation très intime entre la spatialité et la temporalité traverse tous les niveaux de la structure musicale et qu’elle s’exprime assez bien dans ce que les mathématiciens nomment “convolution”. Si les musiciens connaissent ce terme dans le traitement du signal réverbéré, on donnera quelques exemples pour évoquer l’idée qu’il pourrait bien être utile à d’autres échelles de temps. On en tirera une réflexion sur l’intrication du temps et de l’espace en musique.

 

 

Cesar Birschner, pianiste, doctorant, IReMus

Cartas Celestes pour piano de Almeida Prado, un vocabulaire musical hors temps et un espace sonore cosmique

 

Dans quelques pièces pour piano appartenant au cycle Cartas Celestes, le compositeur brésilien Almeida Prado (1943-2010) met en musique un ensemble d’accords conçus préalablement à la composition des morceaux. Ces accords, élaborés d’après Prado selon leurs qualités résonnantes, sont eux-mêmes des représentations musicales d’astres cosmiques. Dans ce cadre où la dichotomie son-espace semble alors très évidente à premier abord, nous essayerons de comprendre si la composition est ici uniquement un agencement d’un espace sonore préalable ou si d’autres facteurs entrent en jeu. Pour l’interprète, des questions profondes s’imposent également : comment ce discours musical conçu hors temps devient musique ? s’agit-il uniquement d’une combinatoire des sons dans l’espace ou, au contraire, d’autres phénomènes liés à la temporalité y interviennent ? Afin de saisir plus finement les enjeux musicaux derrières ces questions, des interventions instrumentales extraites de l’œuvre ponctueront éventuellement cet exposé.

 

 

Dominique Pradelle, philosophe, professeur, SU

Temps phénoménologique et temps musical

 

Dans Le temps musical : essai d’une esthétique nouvelle de la musique, paru en 1949, Gisèle Brelet écrit ceci : « Les démarches créatrices du musicien que l’œuvre musicale exprime, ce ne sont nullement celles qui luttèrent dans la durée banale, mais celles qui, victorieuses de cette durée, créèrent le temps musical, ce sont les actes par lesquels la conscience construit le temps en y faisant pénétrer l’éternité de son acte. » (p. 433) ; « Le temps musical – le temps vrai – n’est ni la durée pure du bergsonisme, ni une forme abstraite posée d’avance, hors du déploiement vivant du devenir. S’il exprime les opérations de l’esprit, ces opérations sont celles d’un esprit libre et vivant qui ne construit pas le temps hors de la réalité du temps, mais découvre en cette réalité même son intelligibilité, une intelligence spécifique et respectueuse de son originalité […] » (p. 439) ; « Car le temps musical, à l’inverse de la durée psychologique, est création et non disparition : en lui les sons ne meurent que pour laisser la forme éternelle de l’œuvre et ce présent indivisible qui en jaillit » (p. 440) ; « La forme musicale, qu’est-elle en effet sinon l’expression des actes essentiels par lesquels la conscience construit le temps vécu ? » (p. 446). Nous prolongerons ces réflexions de Gisèle Brelet au fil conducteur des questions suivantes : quel est le rapport entre temps vécu (celui de la conscience perceptive) et temps musical ? Ce dernier n’est-il qu’une espèce du temps vécu (celui que vit la conscience musicale) ou possède-t-il des structures spécifiques qui l’opposent au temps quotidien ? Comment penser le rapport entre l’écoulement effectif du temps musical pour la conscience et la structure idéale et atemporelle qui est propre à l’œuvre composée ? Nous tenterons de déployer ces questions à l’aide de la conceptualité husserlienne.

 

 

Antoine Bonnet, compositeur, professeur, Université de Rennes

Vers une Terza pratica ?

 

On fait l'hypothèse que notre temps doit faire face à un double achèvement : celui, âgé d'un millénaire, d'un régime musical réglé sur l'écriture telle que pratiquée depuis l'invention de Gui d'Arrezzo ; et celui, âgé de quatre siècles, d'une subjectivité musicale vectorisée par l'humanisme qui somme toute aura englobé tout le paradigme tonal (incluant la musique atonale, ici considérée comme son pendant négatif). A rebours des orientations qui mettent le son au centre du jeu et/ou en font le vecteur de questions extra-musicales, on s'efforce de trouver des ressources non plus dans le matériau tel qu'historiquement appréhendé dans la perspective de son "progrès", mais dans l'histoire comme matériau, dans un regard renouvelé sur l'immense fonds d'archives légué par l'histoire, désormais intégralement disponible ; s'ouvre alors une perspective non pas "postmoderne" mais résolument critique, à même l'œuvre à faire, dont on donnera quelques exemples.

 

 

Leonardo Vaccari, pianiste, étudiant, Ca' Foscari, Venise

Perspectives phénoménologiques existentielles sur la musique : les contributions « heideggeriennes » de Günther Anders et Heinrich Besseler

 

La récente traduction en français des écrits du philosophe Günther Anders sur la phénoménologie et la sociologie de la musique, réunis dans le volume Phénoménologie de l'écoute (2020), offre l’occasion de réintroduire dans le débat philosophique une perspective « heideggérienne » sur la musique, restée jusqu’ici presque inconnue en dehors de la sphère germanique. À la fin des années 1920 et au début des années 1930, le jeune Anders, alors encore connu sous le nom de Günther Stern, développe une appropriation très personnelle de la méthode phénoménologique existentielle issue de Être et Temps (1927) de Martin Heidegger, dont il fut l’élève à Fribourg et à Marbourg. L’herméneutique de la situation musicale qu’il expose dans ses Recherches philosophiques sur les situations musicales (1930-1931) propose une interprétation de la musique radicalement différente de celle d’un autre disciple de Heidegger, Heinrich Besseler. Ce dernier, adoptant une approche phénoménologique, avait mis en lumière une zone d’ombre majeure de la musicologie moderne : celle de la Gebrauchsmusik. Près d’un siècle après leur rédaction, ces textes continuent de soulever des questions fondamentales sur le rapport entre musique et existence humaine, s’inscrivant dans des interrogations plus vastes sur la perception du temps et du monde. Ils ouvrent ainsi la pensée heideggérienne à des développements qui en révèlent les aspects demeurés inexprimés.

 

 

Chae Um Kim, pianiste, doctorante, IReMus, CNSMDP

Notation du temps dans les œuvres pour piano et électronique de Philippe Manoury

 

Depuis plusieurs décennies, Philippe Manoury explore la relation entre deux composantes : l’interprète et l’électronique en temps réel, ce qui place la dimension du temps et la notion de perception au cœur de son langage musical. Dans ses œuvres pour piano et électronique, le temps ne se réduit pas à une simple donnée objective ; il devient une matière malléable qui façonne l’expérience aussi bien de l’interprète que de l’auditeur.

Nous allons observer l’illusion de la spatialité engendrée par son écriture et par les possibilités ouvertes de la partie électronique, ainsi que sur les différents modes d’expression du temps.

À la croisée de l’analyse musicale, de l’interprétation et des sciences cognitives, cette réflexion visera à éclairer les enjeux philosophiques et musicaux de la relation entre espace sonore et temps musical dans les œuvres de Manoury.

 

 

Carlos Lobo, philosophe

Phénoménologie du temps musical et dialectique du hasard et de la volonté.

 

Parmi les multiples dialectiques que rencontre la pensée de la musique contemporaine et qui continuent de l’animer, celle de l’aléatoire et du volontaire semble à la fois la plus insistante, la plus difficile et la plus féconde. La difficulté est liée tant à l’amphibologie de la notion de « hasard » qu’aux techniques qui en permettent tout à la fois le calcul, la maîtrise et la simulation. De cette amphibologie, des quiproquos et des impasses esthétiques auxquelles elle peut conduire, témoigne l’article décisif de Boulez, Aléa (1957). A l’aléatoire comme « hasard par inadvertance » (Cage) et au « hasard par automatisme » objectivé et soumis à combinatoire exhaustive des possibles (Xenakis), se plaçant dans l’ombre tutélaire de Mallarmé, Boulez oppose le hasard comme liberté de choix, comme arbitraire et arbitrage, comme « chances », au nom d’une économie de la surprise dont la notion marque le véritable point d’entrée dans la poétique et l’esthétique musicale : « le développement musical peut faire intervenir des ‘chances’, à plusieurs stades, à plusieurs niveaux de la composition ». Par-delà la typologie des espaces et des temps proposée dans Penser la musique aujourd’hui, elle éclaire les partis pris esthétiques de Boulez et une conception particulièrement exigeante de l’œuvre ouverte. Et, tout comme Nunes proposera de généraliser la notion de contrepoint, Boulez introduit ici une notion généralisée de rubato (ou d’ad libitum) étendue à toutes les dimensions du temps et de l’espace musical (intensités, registres, et tempo). L’analyse qu’il propose de son Improvisation II, sur Mallarmé, en offre une illustration remarquable. Mais nous devons mentionner également, les œuvres de Nunes, en particulier Quodlibet et Rubato, registres et résonances, Improvisation II - Portrait, pour alto.

Se plaçant explicitement sous le patronage de Boulez, mais aussi de la phénoménologie du temps de Husserl, Emmanuel Nunes indique à son tour en 1990, de quelle manière cette dialectique, par-delà le champ des possibilités techniques de maîtrise, en partie illusoire, de ce hasard, marque aussi le lieu de l’exigence poétique et esthétique. La réalisation de l’œuvre musicale « implique une abolition de ce qui pourrait être : le hasard aboli, sans oublier la part de hasard qui peut intervenir dans cette abolition » car « il n'y a de création que dans l'imprévisible qui devient nécessité. » D’où la définition : « L'œuvre : une série de refus au milieu de tant de probabilités ». Et la profession de foi poétique : « Je crois profondément à la non-dichotomie entre l'intuition et la réflexion, la spontanéité et le programmé, le prédéterminisme et l'imprévisible, la volonté et le hasard, le hasard et la volonté ». Le « problème, vital…, de la frontière exacte entre l'aléatoire et le déterminisme » se présente comme deux moments d’une même structure vivante : « Je suis de moins en moins capable et de moins en moins intéressé à distinguer l'un de l'autre, ainsi que, par exemple, l'objectif du subjectif. Et dans le même ordre d'idée d'annuler les oppositions radicales de ce type, je considère que c'est purement et simplement une faiblesse humaine de ma part de le faire ». L’exigence poétique et esthétique se justifie, ici encore, sur la base d’une phénoménologie du temps musical, soucieuse de ménager l’expérience d’un plaisir fait de prise et de déprise. L'aléatoire (dans le sens de la possibilité d'une expérience différente chaque fois que nous revenons sur une même donnée temporelle) et le nécessaire (l'anticipation structurée par la continuité de la conscience) y sont donc en tension permanente. L’aléatoire et la nécessité s’articulent dans un temps vécu qui n'est ni rigide ni totalement imprévisible. L’expérience de la mélodie se fait dans un entre-deux : la nécessité structure le temps, tandis que l’aléatoire rompt ponctuellement cette structure pour offrir à l’auditeur une expérience de renouveau ou de redéfinition. Cette tension entre le prévisible et l’imprévu est vécue dans la durée de l’écoute musicale, où l’auditeur oscille constamment entre anticipation et surprise. Nous montrerons comment la phénoménologie husserlienne met en lumière la manière dont la conscience intègre, synthétise et transforme les différentes expériences temporelles pour en faire des objets de connaissance et de jouissance esthétique, tout en maintenant une distinction entre ce qui relève de la certitude du vécu immédiat et ce qui relève du possible, du souvenir ou de l'anticipation.

 

 

Horacio Vaggione, compositeur, UP8

Remarques sur l’irréversibilité du temps musical

 

En prenant en compte des sources proposées pour le thème du colloque (Giselle Brelet et Pierre Boulez) sur le temps musical, je tâcherai de mettre en lumière quelques dérivées qui pourraient se dégager à partir d’expériences émergeant dans le champ de la composition plus récente.

 

 

Antonia Soulez, philosophe, poète, professeur émérite Université Paris8

Les enjeux du parti pris de la spatialité

On peut dire que depuis le dernier demi-siècle, le son résulte d’un acte spatialisant par lequel le matériau est dynamiquement généré, dont le processus intéresse l’oreille. Créatrice de spatialité, la musique deviendrait ainsi une sorte de « conquête de l’espace » (H. Dufourt). il s’agirait cependant de se demander  si c’est de la musique que vient le son ou du son, la musique. À cette question, Varese répond que c’est le son. Selon cette conception, l’homme dont Aristote disait qu’il avait le sens du temps, se retourne contre ce « sens » dont Kant a fait, avec l’espace une dimension de l’esthétique transcendantale. Dans ce retournement, une poïétique de la construction se fait jour contre la philosophie, et même contre une synthèse que l’on voudrait réparatrice entre le temps vécu et le temps construit. Varese serait représentatif de cet expansionnisme se manifestant à l’écart de la durée, par dissipation de l'énergie sonore qu’il organise. Recourant à l’application technique, le compositeur devient un transformateur des moyens de produire une globalité sonore par projection. Peut-on encore dire que « L’harmonie unit dans la succession ce que l’espace sépare, comme elle sépare ce que l’espace unit » comme s’il s’agissait de combiner en les inversant deux parentés spatiales et harmoniques (Gisèle Brelet p. 106-107) ?  

 

 

Antoine Villedieu, compositeur, doctorant, IReMus

Synthèse sonore et composition algorithmique : la musique comme écriture du son

 

Jean-Claude Risset déclarait que la synthèse sonore permet « d’étendre le contrôle compositionnel jusqu’à la microstructure, au niveau du son » et ainsi de « composer le son même et créer à partir d’un matériau nouveau des formes nouvelles ».

Comment naissent ces « formes nouvelles » dans le cadre de la composition algorithmique de synthèse sonore numérique par le codage ? Quelles sont les incidences esthétiques de cette pratique ? Selon quelles modalités sa diffusion permet-elle de jouer de l’espace et du temps ?

 

 

Carmen Pardo, Professeur, Université de Girona

De l’interrelation musiques-auditeurs-milieux

 

Presque 50 années sont passés dès que Daniel Charles dans La musique et l’oubli (1976), il a proposé une mutation à partir de la conception des relations entre espace et temps musical établies par Gisèle Brelet afin de comprendre les nouvelles musiques. D’après Charles et depuis la spatialisation de la musique (le temps-durée et le temps-espace avec Adorno), nous avons compris l’importance du rôle de l’oubli à côté de la mémoire ; l’écoute liée à un processus de subjectivation et non pas à une construction identitaire ; les rapports intensifs qui soutiennent la trame espace-temps (ou espacetemps comme le préfère Salomé Vœgelin). Aujourd’hui nous sommes un peu perdus – débordées de connaissances et en même temps ignorants –, et il est nécessaire d’interroger à nouveau les liens entre les nouvelles musiques, les écouteurs (ou mieux encore la sensibilité) et ses milieux.











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